Encore un rêve
Alors que le frère Marie-Victorin sillonne le
Vieux-Monde en compagnie de son ami
Francis Lloyd de l'Université McGill, une idée inspirée des nombreux jardins qu'ils visitent un peu partout émerge
dans son esprit : créer un jardin botanique à Montréal !
C'est par un
discours qu'il jette la première pierre de l'édifice. Le 14 décembre 1929, le frère
Marie-Victorin, alors président de la
Société canadienne d'histoire naturelle, prononce une allocution dans laquelle il expose
son projet de jardin botanique. À l'auditoire attentif, il propose un emplacement : le Parc Maisonneuve, aux coins
des rues Pie-IX et Sherbrooke. Ayant abrité l'ancien Mont-de-La-Salle, le Parc Maisonneuve a été vendu par les Frères des Écoles
chrétiennes à la Ville de Montréal et est, depuis lors, pratiquement abandonné.
Le projet est appuyé par plusieurs dont l'éditorialiste du Devoir, Léon Trépanier, qui invite le public à
" pousser la roue ". Le 27 janvier 1930, la Société canadienne d'histoire naturelle crée l'Association du Jardin botanique de
Montréal et lui procure une charte officielle en 1931. Le reste est affaire de politique. Heureusement pour le frère
Marie-Victorin,
Camillien Houde, qui vient d'être élu maire de Montréal, appuie le projet. À l'incitation du directeur des
services municipaux de la Ville, Honoré Parent, le frère Marie-Victorin remet un rapport détaillant tous les aspects de son
projet au Comité exécutif de la Ville qui l'accueille favorablement. Mais ce n'est que deux ans plus tard, soit le 4 mars 1932,
qu'une résolution est votée en ce sens. Le Comité exécutif affecte alors une somme initiale de
100 000 dollars à la
construction du Jardin à l'emplacement désigné par le frère.
Début des travaux. et des obstacles !
Les travaux préliminaires de canalisation et de nivellement qui débutent alors sont intégrés dans les " travaux de chômage " instaurés par la Ville pour faire échec à la crise économique qui sévit. Le frère Marie-Victorin doit maintenant
préciser le plan de son institution. Il a déjà un architecte pour le bâtiment administratif, Lucien F. Kéroack, mais il a besoin
d'un spécialiste capable de dessiner et de construire les sections horticoles. Le directeur du New York Botanical Garden, le Dr
Merrill, lui recommande
Henry Teuscher, un botaniste, horticulteur et architecte-paysagiste d'origine allemande ayant récemment immigré
aux États-Unis. Les deux hommes se rencontrent à New York et sympathisent immédiatement. Les idées de Teuscher sur ce que doit être
un jardin botanique correspondent à celles du frère : une combinaison de fins esthétiques, scientifiques et utilitaires. C'est donc
décidé, Henry Teuscher sera son spécialiste ! Mais le frère Marie-Victorin devra vivre encore quelques épreuves avant de pouvoir
l'engager officiellement.
Les " travaux de chômage " se maintiennent même après la défaite de Camilien Houde aux élections suivantes.
Un petit pavillon administratif, une serre de service et la chaufferie sont construits. Mais on commence à grogner dans le
milieu universitaire : " Les chefs universitaires, qui envisageaient la fermeture des facultés " de luxe "
se scandalisaient devant la poursuite des travaux du Jardin botanique, alors que les bâtiments inachevés de la Montagne se
délabrent. (Robert Rumilly, p.215) ". La question se règle d'elle-même lorsque les autorités
municipales se voient forcées d'interrompre les constructions, les dépenses associées aux travaux de chômage étant devenues
trop importantes. En 1933, le coeur serré, le frère Marie-Victorin se résigne à abandonner temporairement son projet.
L'espoir renaît lorsque que Camillien Houde reprend le pouvoir, au printemps de 1934. Le Frère Marie-Victorin
profite du lancement de sa
Flore Laurentienne et de la présence du maire pour relancer l'idée du Jardin. Il invite le
maire à offrir à sa Ville, qui fêtera prochainement son troisième centenaire, des fleurs en guise de cadeau ! Ses nouvelles
démarches, appuyées par Honoré Parent, portent fruit. Ainsi, le 24 avril 1936, une résolution du Comité exécutif vote un
nouveau crédit de vingt mille dollars à la construction du Jardin et un salaire de 4 500$ à M. Teuscher.
Comble de chance, le gouvernement provincial, dirigé par Maurice Duplessis, vient d'entreprendre, à son tour,
de grands travaux de chômage et le ministre du Travail chargé du dossier n'est autre que William Tremblay le député de
Maisonneuve, quartier où s'érige le Jardin. Vite, le frère Marie-Victorin sollicite
60 000 dollars, convaincu d'obtenir
moins. La réponse le transporte de joie : le ministre lui accorde tout l'argent qu'il voudra pour mener à bien son
projet !
De l'Institut au Jardin
En 1938, 6 millions de dollars ont déjà été dépensés au Jardin et plus d'un dignitaire s'indignent devant la
chose. Il faut dire que l'Université de Montréal n'a toujours pas son nouveau pavillon. Mais le frère Marie-Victorin croit
sincèrement que le Jardin botanique sera un complément, voire même un rouage de l'Université. À cette date, l'édifice principal
et les serres de production et de conservation des collections sont achevés. Deux sections sont déjà ouvertes au public : le Jardin
économique et le Jardin des plantes naturelles. Pour ne pas diviser l'équipe qu'il a rassemblée autour de lui, le frère pense
déménager l'Institut botanique au Jardin. Le 19 avril 1939, le comité exécutif de la Ville ratifie un projet d'accord entre le
Jardin et l'Institut et le 8 juin, c'est au tour de la Commission d'administration de l'Université de ratifier la décision.
L'Institut emménage au Jardin.
Sauvé des eaux
Une dernière bataille doit être livrée. Adélard Godbout, le chef du parti Libéral, qui vient de prendre le
pouvoir à Québec, estime que les dépenses encourues par le Jardin dépassent la limite du bon sens. Le nouveau ministre de la
Voirie et des Travaux publics, T.-D. Bouchard fait cesser les travaux et parle de céder le Jardin à toute institution qui le
voudra pour la somme de 1,99$. La Ville n'y peut rien, car, si elle est propriétaire du terrain, l'immeuble, quant à lui,
appartient à l'État provincial.
Malgré l'incertitude qui sévit, les choses continuent d'avancer grâce au frère et à son
équipe. Des sociétés savantes (ACFAS, SCHN, etc.) tiennent leurs réunions au Jardin et y donnent leurs congrès. Mais la guerre
qui a finalement été déclarée en 1939, affecte terriblement le frère tant physiquement que moralement. Enfin, grâce une nouvelle fois au concours
d'Honoré Parent, une entente se dessine. Depuis longtemps, le gouvernement souhaite acquérir l'immeuble où siège sa Cour des jeunes
délinquants et qui appartient à la Ville de Montréal. Honoré Parent propose à T.-D.
Bouchard d'échanger cet immeuble contre celui du Jardin botanique. Après une
brève hésitation, ce dernier accepte. Le Jardin du frère est sauvé !
Le Jardin aujourd'hui
Parti d'un simple rêve, le Jardin botanique de Montréal a continué de prendre de l'expansion et figure aujourd'hui
parmi les plus importants au monde. On y trouve actuellement une collection de 22 000 espèces et cultivars de plantes, dix serres
d'exposition, une trentaine de jardins thématiques, une équipe de chercheurs et des programmes d'animation.
Pour en savoir plus, consulter le site web du Jardin : http://www.ville.montreal.qc.ca/jardin
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