L'Anticosti-Minganie
Chaque été, de 1924 à 1928, le frère Marie-Victorin explorera avec le
frère Rolland-Germain un nouveau et
grand territoire : l'
Anticosti-Minganie. Les deux botanistes y feront de nombreuses découvertes.
Le départ pour la première exploration a lieu le 8 juillet 1924. L'objectif : recueillir
10 000 plantes. Les deux frères mettent une semaine pour arriver à Havre-Saint-Pierre, d'où ils s'embarquent pour
l'archipel de Mingan. Là-bas, ils explorent leur nouveau territoire à bord d'un ancien bateau de pêche retapé, le
Virginia.
À l'île de Quin, ils mettent la main sur trois
espèces nouvelles. D'abord un étonnant pissenlit qui semble
très répandu dans la Minganie et l'Anticosti. Les deux hommes sont encouragés et redoublent d'ardeur. La découverte suivante
les met en joie : un type nouveau de chardon, que les deux frères n'auraient jamais pensé pouvoir trouver en marge du Golfe
Saint-Laurent ! Le frère Marie-Victorin est enchanté de la trouvaille de cette belle plante, témoin de la flore
pré-glaciaire, sans doute signe d'une évolution plusieurs fois millénaire ! Il l'appelle le " chardon de Mingan " ou
Cirsium minganense. Une troisième découverte les attend sur l'île de Niapisca, où ils recueillent une petite plante
sans fleur, un Botrychium plutôt jaunâtre, qui paraît être aussi une nouvelle espèce. Ils la nomment
Botrychium minganense.
C'est déjà la fin du voyage. Leurs objectifs atteints, les deux frères retournent à leurs activités
professionnelles. En novembre, le frère Marie-Victorin visite le Gray Herbarium de l'université Harvard et rencontre, enfin,
son maître et précurseur, le professeur
Fernald à qui il fait part de ses découvertes. Celui-ci lui
confirme ses hypothèses. Le chardon, bien qu'il se rapproche du
Cirsium folium, présente assez de particularités pour constituer une nouvelle espèce. Il nomme le pissenlit
Taraxacum laurentianum.
Nouvelles découvertes
En 1926, nos deux explorateurs débarquent à l'île Sainte-Geneviève, où ils avaient remarqué l'année précédente
une colonie de Senecio pseudo-arnica en mauvais état. Ils en avaient conclu qu'elle devait souffrir d'une maladie. Mais
cette année, l'examen des spécimens montre qu'il s'agit plutôt d'une mutation. Le Sececio pseudo-arnica var. rollandii
ou Senecio rollandii sera sans conteste leur plus importante découverte. Les deux botanistes considèrent cette plante
comme le représentant le plus authentique de la flore de l'Anticosti-Minganie.
De plus, au sommet de l'île à la Vache Marine, le frère Marie-Victorin découvre un beau spécimen de cypripède
à labelle blanc, une belle orchidée appartenant à l'espèce Cypripedium reginae (cypripède royal) qui a échappé aux
botanistes américains qui ont travaillé dans la région !
En 1927, ils emmènent avec eux un jeune trappiste, élève du frère, le
père Louis-Marie, qui est professeur à l'Institut Agricole d'Oka. Cette année-la, et l'année qui suivra, nos botanistes ne cesseront de mettre à jour des espèces
nouvelles sur le territoire de la Minganie et de la Côte-Nord. Ils envisagent même de réunir les résultats de ces explorations
dans un
ouvrage, mais le frère Marie-Victorin est à nouveau happé par la maladie. L'herbier universitaire comporte désormais
plus de 25 000 spécimens. Et toutes ces découvertes forment un matériel appréciable pour le projet de nouvelle Flore sur lequel
travaille le frère Marie-Victorin, surtout que plusieurs d'entre elles soulèvent d'intéressants problèmes d'évolution et de
génétique, comme c'est le cas du Senecio rollandii.
Les collaborateurs du frère ne chôment pas non plus. Le
frère Adrien herborise sur l'île de Montréal et prend
de nombreuses photographies;
Jacques Rousseau explore l'estuaire du Saint-Laurent et
Jules Brunel effectue des travaux d'algologie dans la région montréalaise en compagnie d'une assistante, Cécile Lanouette.
Trois continents
La renommée du frère continue de s'étendre à travers ses travaux et ceux de ses assistants et disciples. Les
excursions en Minganie ont permis d'élucider quelques questions de taxonomie et d'aires de répartition. Le frère Marie-Victorin a
bâti certaines hypothèses que confirment les travaux de géologie de
William Henry Twenhofel, professeur renommé de l'université du Wisconsin, avec qui le frère Marie-Victorin correspond. En outre,
on publie la version anglaise de Récits Laurentiens : The Chopping Bee and other Laurentian Stories, traduit par James Ferres.
Il n'est donc pas étonnant que l'Université de Montréal choisisse Marie-Victorin comme délégué au Congrès de la
British Association for the Advancement of Sciences, à Cape Town en Afrique du Sud. C'est le début d'une longue aventure,
d'un long voyage sur trois continents qui durera six mois, riche en photographies d'archives.
Embarquement
Ainsi, le 17 mai 1929, le frère Marie-Victorin part de Québec en compagnie de
Francis E. Lloyd, le délégué de l'université
McGill pour le congrès. Les deux hommes font plusieurs arrêts en chemin pour visiter des universités, des musées et des jardins
botaniques. Malgré qu'il soit indisposé, le frère Marie-Victorin est curieux et a soif de découvertes.
Ils arrivent à leur lieu de rendez-vous le 17 juillet. Sur le bateau qui amènent les congressistes à Cape Town, le
frère Marie-Victorin fait de nombreuses rencontres dont celle de l'
abbé Breuil, un Français, autorité mondiale en préhistoire, qui lui fait une forte impression. Au congrès, le frère
Marie-Victorin donne une communication très appréciée de ses collègues : Some Evidence of Evolution in the Flora of Northeastern
America.
Détours et retour
Le congrès terminé, le frère Marie-Victorin et le professeur Lloyd s'embarquent pour une riche expédition. Le
botaniste religieux veut étudier les flores de l'Afrique. Ils font d'abord un court séjour à Johannesburg, puis traversent la
Rhodésie et le Mozambique. À Zambèze, aux confins du Zimbabwe et de la Zambie, ils s'exclament devant les magnifiques chutes
Victoria, hautes de 108 m.
Reprenant la route, les deux voyageurs s'embarquent à Beira pour Mombasa (Ouganda). Ils font escale à Zanzibar,
porte d'entrée des Asiatiques en Afrique, puis se rendent au lac Victoria. De retour à Mombasa, ils s'embarquent pour Port Soudan
sur la mer Rouge, traversant l'Étiophie. De Port Soudan, ils prennent un chemin de fer trans-égyptien et, suivant le Nil, traversent
l'Égypte où ils visitent le tombeau de Toutankhamon, dans la Vallée des Rois. Le train les mène ensuite au Caire, puis à Jérusalem.
Le frère Marie-Victorin en profite pour se recueillir un moment sur le tombeau du Christ et pour étudier l'environnement biologique
de la Mer Morte. Le chemin de fer les mène ensuite jusqu'à Constantinople, puis Prague.
Enfin, les voyageurs remontent jusqu'en Allemagne,
traversant la Bulgarie, la Yougoslavie, la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
Partout, ils visitent les jardins botaniques. De retour à Paris, le frère
Marie-Victorin se rend saluer
Henri Prat et
l'
abbé Breuil, qui est de retour chez lui. Il fait ensuite un saut à
Bruxelles pour voir le frère Réole, premier illustrateur de
ses travaux scientifiques. Enfin, les deux voyageurs s'embarquent sur l'Empress of Australia à Cherbourg, le 14 novembre,
pour retourner au pays.
Le frère Marie-Victorin rapporte de son voyage un manuscrit de plus de 400 pages constitué de notes et
d'observations ainsi que plus de 4 000 photographies. Sa famille est heureuse de le voir. Sa soeur,
mère Marie-des-Anges, est surtout soulagée. L'état de santé de son frère
l'inquiète toujours au plus haut point, surtout lorsqu'il part ainsi en
expédition!
Autres expéditions
Au cours de cette période (1920-1934), le frère Marie-Victorin effectuera plusieurs courts voyages d'exploration.
Il a notamment herborisé dans la région du lac Saint-Jean (1921), de la Gaspésie (1923), des Grands Lacs (1932) de même que dans la
vallée de l'Outaouais et dans le nord du Québec (Abitibi et Témiscaminque,
1933).
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