Peu de gens sont destinés à marquer profondément leur époque. Le frère Marie-Victorin fut un de ceux-là. Et
pourtant, qui aurait pu prédire un destin aussi exceptionnel à un homme qui, à vingt ans, se voyait déjà mourant ?
La tuberculose, ce terrible fléau, semble avoir été ici synonyme de vie. À cause d'elle, le frère
Marie-Victorin allait s'engager sur la voie de la botanique et initier un véritable mouvement scientifique au Québec. Par
elle, surtout, il allait se battre, créer, découvrir et rêver. Ainsi, nul mort ne fut plus vivant que lui, comme Marie-Victorin
l'écrivit à sa sœur, le 2 octobre 1941 : " Je viens de passer une heure avec mon médecin et il est toujours émerveillé de voir
comment un mort peut vivre. " (Confidences et combats)
Botaniste, scientifique, religieux, réformateur, initiateur, fondateur, éducateur, patriote et écrivain, le
frère Marie-Victorin semble avoir mené simultanément plusieurs existences. Mais c'est que tout est lié par le même fil
conducteur : éveiller les âmes à la Vie, les consciences à la Nature et, par ricochet, à la Science. Ainsi, éduquer,
transmettre, communiquer figurent parmi les notions-clés de l'œuvre de Marie-Victorin. Car du Cercle La Salle aux Cercles des
jeunes naturalistes, de l'École de la Route à l'École de l'Éveil, le savant professeur n'a jamais cessé d'enseigner, même en
dehors des heures de classe. Tous étaient ses élèves. Tous étaient aussi un peu ses enfants. Homme d'équipe, il a fait de
plusieurs de ses proches des collaborateurs fidèles : Jules Brunel, Jacques Rousseau, Marcelle Gauvreau, Marcel Cailloux,
Roger Gauthier et Pierre Dansereau, pour ne nommer que ceux-là.
Par ses actions et par ses réalisations, le frère Marie-Victorin a contribué de façon significative au
développement d'institutions scientifiques au Québec et à la modernisation de l'enseignement des sciences. Sa renommée a ouvert
véritablement la porte aux " canadiens-français " sur la scène internationale scientifique. Respecté et admiré par ses pairs,
il reçut au cours de sa carrière de nombreuses distinctions honorifiques et académiques au niveau international qui témoignent
de la qualité de son œuvre. Citons notamment, des décorations des gouvernements canadien et cubain, de la république d'Haïti
et de Sa Majesté le Roi d'Angleterre.
Son rayonnement s'est opéré autour de la chaire de botanique de l'Université de Montréal, qu'il occupa de
1920 jusqu'à sa mort. En effet, à la source de son œuvre se trouve l'Institut botanique de l'Université de Montréal, qu'il
créa de toutes pièces. De cette première initiative allait naître toutes les autres : les
Contributions
du Laboratoire de botanique de l'Université de Montréal, la création de sociétés savantes, le Jardin botanique de Montréal, toutes les
collaborations, tous les échanges et tous les voyages si fructueux. Bref, tous les rêves.
Si l'homme eut un destin hors du commun, la lecture de ses écrits et l'examen de ses oeuvres montrent un
tempérament à l'avenant, une intelligence supérieure à la moyenne et des idées avant-gardistes sur de multiples questions. Sa
conception de l'éducation et sa méthode d'enseignement sur le terrain furent à l'origine d'un véritable débat dans le monde de
l'enseignement supérieur au Québec. Enthousiasmé par les travaux de Mendel, il a jeté les premières notions de génétique au
Québec malgré son appartenance à une église dont le conformiste pouvait difficilement intégrer de telles perspectives
scientifiques. Ses convictions religieuses, loin de lui obscurcir la vue, semblent avoir donné à son esprit une compréhension
du monde et une profondeur peu communes.
Cette largesse d'esprit lui vient peut-être de ses nombreux voyages, qui lui ont fait découvrir de nouvelles
réalités, de nouveaux horizons. Sa découverte de la flore tropicale, sujet des trois volumes des Itinéraires botaniques en est
une illustration fascinante. Comme nombre de ses textes scientifiques, les Itinéraires dépassent largement leur propos pour y
englober l'Homme. Car l'humain l'intéresse autant que la nature. Sa propension à la poésie témoigne de sa sensibilité et de
son profond sens de l'observation, qualités qui ont bien servi le botaniste en lui. Ainsi, ses herborisations sur les sols
québécois et étrangers ont mené à la découverte de nouvelles espèces de plantes et à la formulation de notions
phytogéographiques et écologiques très poussées. À ce point de vue, La Flore laurentienne, demeure l'un des ouvrages les plus
complets jamais réalisé sur une flore territoriale.
Celui qui, à l'âge de 16 ans, avait décidé de consacrer sa vie à Jésus a légué à la société québécoise trois
œuvres maîtresses : l'Institut botanique, La Flore laurentienne et le Jardin botanique de Montréal. Ce dernier est sans
contredit le symbole le plus éclatant de la réussite du maître et la preuve que la foi peut soulever des montagnes. Car rien
n'a semblé impossible à ce " mort en sursis ". Fidèle à Dieu et à l'Homme, le frère Marie-Victorin a mené ses luttes jusqu'au
bout, en parfaite harmonie avec ses convictions profondes, authentiquement intègre et obstinément rêveur. Le choix de ce
dernier terme n'est pas innocent. Car bien que le cliché soit usé, s'il y a une leçon à tirer de la vie du frère Marie-Victorin,
c'est bien de croire à ses rêves. Et de tout mettre en œuvre pour les réaliser.
Je suis entré dans la forêt pour étudier l'arbre
(Marie-Victorin, L'arbre, La Citée des plantes 12 octobre 1943)
[Texte de l'émission radiophonique]
[Extrait de l'émission radiophonique]
Et j'ai pris la longue route, seul, ouvrant sur toutes choses les yeux du géologue et du botaniste,
du fervent de l'art et du curieux de l'homme et du chrétien aussi.
(Marie-Victorin, Croquis africains)
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