À son retour de la Seconde Guerre mondiale [1], où il servit dans l'aviation canadienne, Léo Roback participa comme officier à l'Union des Ouvriers du Textile. Cette expérience dans le mouvement ouvrier lui fut sans doute très utile pour comprendre les besoins et les aspirations des travailleurs. Il prit alors certainement consience qu'il avait un rôle à jouer pour donner une voix aux demandes des ouvriers et des syndicats. C'est ce qu'il chercha à faire en fondant vers la même époque, en compagnie d'Agatha Chapman, Éric Adams et Daniel Paltiel, Research Associates, une agence qui avait pour objectif de faire des recherches économiques pour les syndicats. À l’époque, les syndicats n’avaient pas les moyens de faire ces recherches, donc la tâche était confiée à des agences de consultation, comme celle fondée par Léo Roback. On les retrouvait principalement à Vancouver, Toronto et Montréal. Elles étaient souvent formées par des universitaires de gauche. Research Associates offrait des services bilingues principalement aux syndicats québécois. À partir de 1950, l'agence commença à publier une revue mensuelle appelée Labor Facts (ou Renseignements ouvriers, pour sa version jumelle française).
Cette publication fut pour longtemps unique au Canada [2].
La revue Renseignements ouvriers était destinée à donner un soutien aux syndicats. Elle offrait des arguments pour soutenir leurs revendications durant leurs négociations avec le patronat. Les services de Léo Roback méritent d’être mentionnés, ainsi que la participation des autres membres, comme Agatha Chapman, économiste et statisticienne, qui analysait les rapports financiers des compagnies afin de mieux discerner la capacité des patrons à payer des salaires adéquats.
Fait significatif qui montre la qualité des informations présentées dans cette revue, on retrouve dans le fonds d'archives une lettre de Noël Lacas, du Conseil central des syndicats catholiques nationaux de Joliette, demandant à Léo Roback la permission de publier un article paru dans Renseignements ouvriers. Noël Lacas veut se servir de cet article afin de répondre à un éditorial du journal local de Joliette, selon lui mensonger, liant la hausse du coût de la vie à la hausse des salaires [3]. Léo Roback autorise la publication de son article comme on peut le constater dans la lettre suivante.
On peut donc voir par cet exemple que le travail de Léo Roback et de ses associés était très apprécié et utile pour les syndicats.
Nous reproduisons ici un tableau tiré de l'article "Le public se fait voler", du numéro d'octobre 1958 de Renseignements ouvriers. Le tableau indique le pourcentage du coût des salaires dans le prix total de vente pour des biens produits dans divers secteurs manufacturiers en 1956. En montrant que la moyenne est seulement d'environ 15%, Léo Roback et ses associés veulent défaire l'argument selon lequel la hausse des prix dans les secteurs de la grande industrie est causée principalement par la hausse du salaire des employés.
secteurs manufacturiers | pourcentage des salaires dans le prix total de vente |
---|---|
emballage des viandes | 8.0 |
brasseries | 15.8 |
produits du tabac | 12.6 |
filature du coton et vêtements | 19.6 |
vêtements pour hommes | 21.3 |
vêtements pour femmes | 20.3 |
scieries | 19.7 |
pâtes et papier | 16.1 |
équipements de ferme | 21.1 |
automobiles | 11.0 |
fer at acier | 20.0 |
fonderies | 7.5 |
appareils électriques | 17.7 |
raffineries | 2.9 |
industries chimiques | 10.1 |
Service de la gestion de documents et des archives, Université de Montréal, Fonds Léo Roback (P217), contenant 2439, numéro mensuel de Labor Facts, octobre 1958.
Au sujet de l'implication de Léo Roback dans Research Associates, une petite anecdote mérite d'être mentionnée. Durant les années cinquante, la situation était tendue en raison de la propagande anti-communiste. Le mouvement syndical commençait à s’éloigner un peu des agences de consultation comme Research Associates en raison de rumeurs voulant que ces groupes soient liés au communisme. Nous avons retrouvé un article provenant du journal The Ensign, datant du 8 mars 1952 qui témoigne de cette peur[4]. L’article mentionne qu’Agatha Chapman et Léo Roback sont passés devant la Commission royale d'enquête sur l’espionnage. Ils n’ont cependant jamais reçu de peine. Bien qu’ils aient été soupçonnés d'espionnage, ils ont continué d’offrir leurs services aux ouvriers.
Research Associates a ainsi poursuivi ses travaux jusqu'en 1965. L'importance de leur revue, au Canada et ailleurs, peut être constatée par des lettres retrouvées dans le fonds d’archives de Léo Roback. Elles témoignent du regret ressenti face à la perte d’une si bonne source d’informations pour certains syndicats. Une lettre envoyée par le Labour Research Department, se trouvant à Londres au Royaume-Uni, est d'un intérêt particulier. On y apprend que Labor Facts permettait aux membres de cet organisme de connaître la situation du mouvement ouvrier au Canada et qu'ils croyaient que la revue avait certainement servi au renforcement de ce mouvement.
©2010 Florian Daveau, François Larivée et Michel Ladouceur.