À l'heure du testament (1948-1958)
« Aujourd’hui, après maladies, fatigues et orientation de vie si différente de celle qu’on m’avait dessinée, il faut seulement donner… donner et ne plus espérer recevoir. »
Lettre d'Auguste Descarries à Jean Bruchési, 12 mars 1950
Si elle voit naître une œuvre musicale riche et maîtrisée, la dernière décennie de la vie d’Auguste Descarries est également marquée au sceau de la maladie. Se sentant proche de la fin, le musicien se concentre sur sa production pianistique et multiplie les compositions. Ardent promoteur d’une formation musicale rigoureuse et uniformisée, Descarries comptera parmi les principaux artisans de la fondation de la Faculté de musique à l’Université de Montréal.
Vers une véritable faculté de musique à l’Université de Montréal
Le Montréal qu’avait retrouvé Auguste Descarries, à l’aube des années 1930, manquait cruellement de grandes institutions musicales publiques (le Conservatoire de musique de Montréal ne sera fondé qu’en 1943). La musique y était alors enseignée dans le cadre de cours particuliers, ou encore par des communautés religieuses féminines ou le Conservatoire national de musique – école affiliée à l’Université de Montréal. Dès 1939, Descarries prend part au comité d’étude sur l’enseignement de la musique. Ce comité d’experts, dont les objectifs sont notamment d’uniformiser les programmes de musique des différentes écoles annexées et affiliées, recommande la création d’une Faculté de musique à l’Université de Montréal. C’est à titre de vice-doyen et de professeur que Descarries œuvrera au sein de la nouvelle faculté, créée en 1950.
Le legs d’Auguste Descarries
Le maître Descarries n’attend pas l’aboutissement du projet universitaire pour agir auprès de toute une génération de pianistes, qu’il forme aux plus hautes exigences de la pratique musicale. Dès 1945, il fonde, avec le soutien constant de son épouse Marcelle, l’Entraide de l’École Auguste Descarries, grâce à laquelle les élèves apprennent à passer du studio à la scène. C’est ainsi qu’au fil des dix années que durera l’aventure, 55 concerts de piano animeront la vie culturelle montréalaise dans différents lieux de diffusion. Suivant l’une de ses plus éminentes élèves, Lise Deschamps-Ostwald, Auguste Descarries a légué à la postérité une œuvre empreinte « d’un lyrisme des plus prenants » où il se révèle « maître de l’architecture et de la forme ». Il aura surtout incarné par ses faits et gestes « l’amour de l’art, de l’esthétique, de la vérité musicale ».
Ultimes inspirations
Les dix dernières années de sa vie sont teintées des luttes qu’il mène sur plusieurs fronts, avec panache, ne serait-ce que pour obtenir un poste d’enseignement prestigieux ou une rémunération à la hauteur de son mérite. Ce sont également des années fécondes sur le plan de l’inspiration, qui ont vu naître sa mélodie la plus audacieuse, En sourdine, et des pièces pour piano d’un remarquable lyrisme, telle Nostalgie. Frappé d’une crise cardiaque en 1948, Descarries parachève son œuvre dans l’urgence : « Le temps et l’espace ne comptaient plus pour lui, il n’était plus qu’un esprit musical », commentera Marcelle Létourneau après la mort de son mari.
Une œuvre phare : la Sonate pour piano
Portée par un souffle romantique puissant, la Sonate pour piano de Descarries apparaît comme son testament musical. Élaborée au cours des étés 1952 et 1953, elle constitue « un véritable monument de la littérature pour clavier au Québec dans la première moitié du XXe siècle », selon le musicologue François de Médicis. Il faudra pourtant attendre 2017, soit près de 60 ans après la mort de son auteur, pour qu’elle soit éditée et créée à Montréal. De l’avis de nombreux musiciens, il s’agit d’un des legs les plus précieux qu’aura laissés Auguste Descarries aux générations futures.
L’extrait présenté ici est interprété par Janelle Fung (2019). Il est tiré de l'album Aubade et diffusé avec l'aimable autorisation de Janelle Fung et de Centredisques.