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Serge Garant: un visionnaire de la musique contemporaine

Le Fonds Serge Garant, 1929-1986 (P0141)


Le fonds Serge Garant de la Division de la gestion de documents et des archives (DGDA) de l’Université de Montréal renferme une masse imposante de documents sur ce musicien d’exception, qui fût un militant actif pour la musique contemporaine, à une époque où le Québec s’éveillait à de nouveaux horizons artistiques et musicaux. Grâce à la consultation de ce fonds, il nous a été possible de découvrir les périodes phares de la vie de Serge Garant, concernant ses apprentissages, son enseignement, sa carrière radiophonique et sa vie de musicien et de créateur.

Musicien précoce

Serge Garant accoudé sur un piano. Sherbrooke, - 1958. - Positif n&b, 15 x 10 cm. 1) Source: DGDA, Université de Montréal. Fonds Serge Garant (P0141) 1FP05194.
Serge Garant accoudé sur un piano. Sherbrooke, - 1958. - Positif n&b, 15 x 10 cm. 1) Source: DGDA, Université de Montréal. Fonds Serge Garant (P0141) 1FP05194.

C’est le 22 septembre 1929 que vient au monde Serge Garant, fils d'Alice Tanguay et d'Antonio Garant. (1) Serge jouit très tôt d’une initiation musicale, grâce à la culture et à l’intérêt pour la musique de sa mère. Dès son jeune âge, il fréquente l’école élémentaire Sacré-Cœur de Jésus situé dans la ville de Québec, où il passera trois années consécutives (1936-1939). Bouleversée par la suite des événements de la crise économique s’échelonnant de 1929 à 1939, la famille Garant devra déménager successivement: de Québec vers L’Ancienne-Lorette en 1940, de L’Ancienne-Lorette vers Verdun en 1941, pour finalement s’installer à Sherbrooke en 1941. Poursuivant son apprentissage scolaire au fil de ces déménagements, Serge Garant termine sa neuvième année à l’école Saint-Jean-Baptiste de Sherbrooke en 1945. Parallèlement à ses études, Garant développe un intérêt particulier pour la clarinette, un des multiples instruments qu’il viendra à maîtriser au cours de sa vie. En 1946, Garant, toujours captivé par les instruments à vent, s’initie en autodidacte au saxophone.

Explorant de multiples aspects du domaine musical, Garant prend la décision, pour élargir ses horizons, de se tourner vers l’apprentissage du piano, un parcours sinueux où il sera en premier lieu sous la tutelle d’un des fondateurs de l’Orchestre symphonique de Sherbrooke, Sylvio Lacharité. C’est d’ailleurs Lacharité qui initiera Garant à la somptuosité de la littérature et à son lien inhérent avec la sphère musicale, un héritage qui influencera grandement ses écrits et ses compositions tout au long de son parcours. Jouissant d’un séjour à l’école d’orchestre de Pierre Monteux grâce à son contact avec Lacharité, Garant s’intéresse progressivement à l’écriture musicale; friand de composition, c'est dès 1946 qu'il écrit Conte (version pour cordes, flûte et clarinette), une œuvre qui sera d'ailleurs présentée au Festival de la Jeunesse en 1949. Par la suite, Garant, tout en continuant la pratique et l’écriture musicale pour le saxophone et la clarinette, poursuit ses études pianistiques dans la métropole montréalaise avec Yvonne Hubert. En 1951, Garant, ayant appris les rudiments théoriques de la musique et exploré largement le domaine pratique avec son expérience d’interprète et de chef d’orchestre dans plusieurs concerts, lève l'ancre pour la capitale française, avide de connaissances. À Paris, Serge Garant suit « des cours de contrepoint d'Andrée Vaurabourg-Honegger et des cours d'analyse de Messiaen » (2). La correspondance qu’il entretient entre autres avec son amie Mimi Shea (3) y fait à l’occasion référence.

Pédagogue et mentor

Serge Garant dirigeant le 37e concert de la Société de musique contemporaine du Québec / Ronald Labelle. - 4 novembre 1971. - 1 photographie: n&b ; 20 x 25 cm. Source: DGDA, Université de Montréal. Fonds Serge Garant (P0141) 1FP03239.
Serge Garant dirigeant le 37e concert de la Société de musique contemporaine du Québec / Ronald Labelle. - 4 novembre 1971. - 1 photographie: n&b ; 20 x 25 cm. Source: DGDA, Université de Montréal. Fonds Serge Garant (P0141) 1FP03239.

Les premières expériences d'enseignement de Serge Garant remontent probablement à l’été 1951, lorsqu’il est invité à participer au camp musical Knowlton. Mais ce n’est qu’en 1967 que Garant est invité, par le doyen de la Faculté de musique de l'Université de Montréal, à dispenser « l'enseignement de l'analyse d’œuvres du vingtième siècle et de la composition » (4). L'entrée en fonction du célèbre compositeur d'Anerca (1961) parmi le corps professoral de la Faculté de musique est un sujet de clabauderie pour plusieurs, vraisemblablement dû au fait qu'il ne possède pas de diplôme d'études supérieures, qu'il n'a pas d'expérience d'enseignement universitaire et qu'il valorise davantage une approche musicale structuraliste, la musique sérielle et la musique atonale, dans un milieu où celles-ci ne sont pas particulièrement valorisées. En outre, Garant avait une conception particulièrement avant-gardiste de la musique et s'affichait volontiers comme un dissident, un moderne, puisqu'il ne voulait en aucun cas que ses œuvres soient le reflet d'une imitation quelconque d’un compositeur issue de la tradition musicale, mais plutôt l'incarnation stricto sensu d'un nouveau paradigme musical, c'est-à-dire se différencier de tout ce qui avait été fait jadis au profit d'une réelle création musicale. Malgré ce contexte en apparence peu favorable, Garant obtient sa permanence en 1971.

Dans le cadre de son enseignement musical universitaire, Garant trouve particulièrement exigeant la tâche d'évaluer les travaux de ses étudiants. Il doit pour ce faire être le plus objectif possible et ne pas juger leurs compositions en fonction de ses propres valeurs, mais plutôt en fonction de ce que les étudiants proposent en cherchant à évaluer s'ils ont atteint leur but. Ces propos seront par ailleurs corroborés par un étudiant ayant fréquenté les classes de Serge Garant, Myke Roy, qui explique qu'il était particulièrement permissif à ce sujet: « On pouvait arriver avec n'importe quelle idée folle, [...] écrire dans n'importe quel style, du moment qu'on savait ce qu'on voulait. » (5)

Bien que pour certains le personnage de Serge Garant soit associé à la figure du créateur de musique dite intellectuelle et d'un homme hermétique côtoyant des cénacles bien particuliers, Garant semblait, dans ses jeunes années d'enseignement, un titulaire particulièrement ouvert à ses étudiants: les discussions amorcées en classe pouvaient même se poursuivre dans des restaurants, explique Jean Boivin. (6)

En 1986, c’est de manière tragique que Garant doit mettre fin à sa tâche d’enseignement: affaibli par la maladie, il se sent dorénavant trop épuisé pour effectuer cette tâche si exigeante pour l’esprit. Toutefois, Garant se préoccupera de son enseignement jusqu’à ses derniers jours, et communiquera même par téléphone au printemps 1986, à quelques mois de son décès survenu le 1er novembre 1986, depuis le centre hospitalier, les notes de ses étudiants à une professeure de l’Université de Montréal, Louise Hirbour. (7)

Animateur à la radio

Serge Garant participe à plusieurs émissions radiophoniques en tant que spécialiste; mais sa carrière d'animateur proprement dite à Radio-Canada, débute en 1955 à l'émission Do-Mi-Sol, et se poursuivra à travers les émissions Sur nos ondes (1957-1958), jusqu'à Musique de notre siècle (1969-1985). Cette dernière émission sera pour lui un moyen de diffusion extraordinaire lui permettant de faire entendre et de commenter des œuvres, entre autres, appartenant à la musique électroacoustique et sérielle. Complément à toutes ses activités écrites souvent polémistes et dénonciatrices (critiques et articles dans les périodiques spécialisés, les quotidiens, etc.), ces émissions permettent à Garant d'allonger son œuvre de pédagogie et quelquefois d'introspection par rapport à la musique moderne, qu'il défendra bec et ongles jusqu'à la toute fin de sa vie.

Ce qu'il considère comme étant des œuvres « classiques », ce sont celles composées au début du XXe siècle, en opposition aux œuvres plus récentes de ses contemporains dont il prend infatigablement la défense. Il suggère tantôt des manières de se rendre disponible à l'audition de ces œuvres, tantôt d'avoir une audition plus critique de certaines autres. Mais, dans tous les cas, il se refuse à s'installer dans la facilité et le confort intellectuel d'une musique prévisible et remâchée.

Garant se penche sur la transformation proprement dite du langage musical contemporain, s'attardant sur l'instrumentation, l'orchestration et tous les moyens technologiques électroacoustiques dorénavant mis à la disposition des compositeurs modernes. La mise en contexte de ses réflexions se fait souvent par le biais de comparaisons avec des œuvres phares, plus facilement identifiables, retournant aussi loin qu'aux œuvres de Bach, donnant ainsi aux auditeurs des repères musicologiques signifiants pour quiconque a soif d'apprendre. Ce procédé des comparaisons, il l'emploie aussi entre des pensées musicales opposées, pour étayer le spectre extrêmement développé de l'univers de la nouvelle musique, et pour situer les différents courants incontournables de celle-ci.

Parmi la multiplicité de styles de la musique moderne, Serge Garant s'identifie clairement à la musique sérielle qu'il explique et décortique inlassablement, avec toute la passion d'un compositeur qui en est un disciple inconditionnel. Il tente de faire comprendre à ses auditeurs la nature même de ce nouveau langage musical qui balaie toutes les conventions anciennes de référence sonore acquises au cours des siècles précédents.

« La musique, c'est à l'instant même qu'elle se fait, dégagée de toute considération historique ou esthétique. Le son pour le son, le timbre pour le timbre, le rythme pour le rythme, l'instant musical pour l'instant vécu [...]. » (8)

Il admet volontiers la difficulté d'approche de cette nouvelle musique, mais y puise par le fait même sa passion à explorer cet univers sonore renouvelé qui, selon lui, fait déjà école dans les milieux musicaux. En pédagogue objectif, il relate et analyse certaines critiques de compositeurs qu'il considère comme dissidents, en restant toujours sur des positions très campées envers celles-ci. En ce sens, il admet volontiers être dérouté devant autant de techniques compositionnelles et de compositeurs, qui créent des œuvres qui peuvent paraitre, en raison de leurs structures atypiques, hermétiques et inaccessibles pour ceux qui se refusent à fournir une participation intellectuelle essentielle à la réception de cette musique moderne.

Créateur et ambassadeur

Concert de la Sociéte de musique contemporaine du Quebec a la Salle Pollack, Universite McGill, - 9 décembre 1976. - Positif n&b. 20 x 25 cm. Source: DGDA, Université de Montréal. Fonds Serge Garant (P0141) 1FP05246.
Concert de la Sociéte de musique contemporaine du Quebec a la Salle Pollack, Universite McGill, - 9 décembre 1976. - Positif n&b. 20 x 25 cm. Source: DGDA, Université de Montréal. Fonds Serge Garant (P0141) 1FP05246.

Après s'être consacré à quelques activités musicales en tant qu’accompagnateur et arrangeur, Serge Garant se livrera enfin entièrement à sa passion pour la musique contemporaine à partir de 1966. Ses compositions se succèderont sans relâche, souvent inspirées de textes littéraires, politiques ou autres, et touchant même la musique de film et des évènements internationaux majeurs. Tantôt conférencier, tantôt instigateur de projet comme l'Atelier de musique contemporaine à la Faculté de musique de l'Université de Montréal, tantôt directeur artistique et chef d'orchestre, entre autres de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), tantôt intermédiaire privilégié et émissaire de la nouvelle musique du Canada dans plusieurs échanges musicaux internationaux de tous ordres, il participera à certains festivals et rencontres d'envergure, évènements anniversaires de musiciens et d'orchestres, créations d'œuvres inédites de ses contemporains. Malgré ce foisonnement de réalisations, ses accomplissements se feront dans une confrontation constante entre les certitudes de ses convictions profondes et les doutes face aux ouvertures de la société par rapport à ce nouvel état des choses concernant la musique contemporaine canadienne et internationale.

La rigueur et les exigences de Serge Garant concernant la mise en place de ces nouveaux paramètres musicaux, se reflétèrent tout au long de sa carrière, aussi bien dans ses propres œuvres, qu'envers tous ses interlocuteurs, étudiants, musiciens, compositeurs ou autres. La remise en question incessante des préceptes musicaux et l'instauration d'idéologies nouvelles furent sa quête de tous les instants, tout au long de sa vie. Étant parfaitement au fait de la lourde responsabilité qui lui incombait de faire connaître, d'expliquer et d'être en quelque sorte le passeur à la prochaine génération, donnant toujours une place importante aux jeunes compositeurs, Serge Garant fut l'un des plus grands penseurs et créateurs de la musique nouvelleau Québec.

Ce musicien unique qui aura lutté sans relâche et qui aura su garder son engagement indéfectible envers la musique contemporaine, malgré toutes les polémiques, recevra vers la fin de sa vie une reconnaissance élargie à travers toute la société canadienne et québécoise, qui lui rendra hommage à plusieurs occasions, grâce à des honneurs et à des prix prestigieux.

Cet article a été écrit par Hugo Vaillancourt et Christiane Lafontaine dans le cadre du cours ARV1056 – Diffusion, communication et exploitation donné à l'hiver 2012 par Dr Yvon Lemay.

Notes

(1) Pour plus d’informations sur l’enfance de Serge Garant, se référer au verbatim de l’entrevue suivant: Division de la gestion des documents et des archives (DGDA), Université de Montréal (UdeM). Fonds Serge Garant (P0141). P0141/D2-2, 1. S. Garant – Image 5 – Son 6 (670) – S. Garant.

(2) Lefebvre, Marie-Thérèse. 1996. « Pour débusquer l’inconnu: chronologie de Serge Garant ». Circuit: musiques contemporaines, vol. 7, no 2, p. 61. [En ligne]. http://id.erudit.org/iderudit/902179ar. Page consultée le 2 novembre 2012.

(3) Pour en savoir davantage sur l’amitié de Serge Garant et Mimi Shea, se référer à: DGDA, UdeM. Fonds Serge Garant (P0141). P0141/D2/2. Portrait d’un musicien: Serge Garant – Image 1– Son 2 (2924), Entrevue: Mimi Shea.

(4) Boivin, Jean. 1996. « La classe de composition de Serge Garant, ou le sentier de la lucidité ». Circuit: musiques contemporaines, vol. 7, no 2, p. 37. [En ligne]. http://id.erudit.org/iderudit/902178ar. Page consultée le 2 novembre 2012.

(5) Op. cit., p. 44.

(6) Op. cit., p. 41.

(7) Op. cit., p. 51.

(8) Lefebvre, Marie-Thérèse. 1986. Serge Garant et la révolution musicale au Québec. Montréal: Louise Courteau éditrice, p. 165.